13/03/2011

A Brera, un appel à tenir des cours dans les banques européennes


Vendredi 4 mars 2011  
de FRANCO BIFO BERARDI

Le gouvernement Italien, en parfait accord avec les banques centrales européennes, est en train de détruire le système de l’éducation, et en particulier l’Académie des Beaux-arts de Brera où j’enseigne, en toute précarité, sociologie des médias.
Les lignes suivantes sont ma contribution à la discussion entre les enseignants de cette école.
Comme je suis censé commencer mon cours à Brera le 14 mars, je veux comprendre si je dois préparer mes leçons. Ma réponse est : non. J’irai à l’Académie de Brera le 14 mars à 11h 30, mais je ne parlerai pas de cybercultures, comme prévu. Je parlerai d’un sujet différent : comment organiser une insurrection, car voilà le seul sujet intéressant en ce moment.
La “réforme Gelmini” coupe 8 milliards d’euros au système de l’éducation en Italie. L’effet est très facilement constatable, et dans les prochaines années les coupures budgétaires à l’éducation produiront de la misère, de l’ignorance et de la violence.
Ce n’est pas un problème Italien : au Royaume-Uni des milliers d’étudiants sont en train de quitter les universités car les droits d’inscription sont devenus impossibles à payer, tandis que cinq-cents mille travailleurs du secteur public sont en attente d’être virés, et la société anglaise tombe dans un cauchemar de dévastation. 
Voilà pourquoi nous devrions abandonner l’idée que l’Académie de Brera à Milan puisse être sauvée à travers des négociations. La seule chose à faire maintenant, c’est de lutter contre la dictature financière qui est en train d’oppresser la société européenne, comme Kadhafi et Moubarak ont oppressé les populations Arabes.
Est-ce une tâche trop difficile pour les enseignants de Brera ? Oui, elle l’est, mais nous ne sommes pas seuls. Des millions de travailleurs, à travers l’Europe, - dans les institutions d’enseignement, dans les usines, dans les hôpitaux et dans les services sociaux – sont face à un choix entre la misère et la révolte, entre la lutte radicale et la dépression. Celui-ci est le moment pour préparer une insurrection. Il vaut mieux être francs sur ce point : notre futur est fini, et ainsi l’est le futur de nos étudiants, à moins que nous n’arrêtons d’avoir peur et que nous ayons le courage de lutter pour le droit à enseigner, et pour le droit à étudier, et pour le droit à un salaire décent, et pour notre dignité.
Il est inutile de discuter avec les bureaucrates de l’école de Brera, car ils sont seulement l’instrument de projets dévastateurs qu’ils ne peuvent pas changer. Ce qui est utile, par contre, c’est d’occuper un carré de terre, une station, un parlement, et de rester là jusqu’à quand le gouvernement de la mafia sera chassé, jusqu’à quand la direction Trichet-Sarkozy-Merkel aura été battue. Est-ce que cette perspective est trop grande ?
Peut-être, mais nous devons être radicaux, car la situation est devenue extrême.
Le Knowledge Liberation Front s’est réuni à Paris - Saint Denis le 12 février et appelle à une journée de cours dans les banques de plusieurs villes européennes le 25 mars. A Londres ils sont déjà en train de le faire : des groupes d’étudiants et de chercheurs vont dans une banque, et ils l’occupent en lisant des poèmes, en discutant de biologie moléculaire, en parlant de leurs problèmes, pour après manger quelque chose,  dormir.  
Occuper les banques, voilà ce qui est devenu une pratique quotidienne. Est-ce dangereux ? Oui, mais c’est plus dangereux d’attendre que quelqu’un vienne et nous aide à obtenir un travail et assez d’argent et une instruction et une maison, quand le capitalisme financier est en train de détruire nos vies. Le capitalisme financier a déclaré guerre contre la société.
Nous ne pouvons pas éviter cette guerre, mais nous pouvons la gagner.
Je vous demande pardon si mon langage semble tragiquement emphatique. Malheureusement, la tragédie n’est pas un effet de mon  imagination. 

[trad. Francesca Martinez Tagliavia]

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