JOURNAL DE VOYAGE
JOUR 1
Ce soir, la délégation transnationale du Knowledge Liberation Front / Front de Libération des Savoirs s’est réunie à Tunis pour commencer le Liberation Without Borders Tour / Tour de Libération sans Frontières. Cette délégation est un projet d’enquête militante qui a été lancé lors du Meeting transnational de Paris de février dernier. Il a comme objectif de renforcer les relations politiques radicales entre les mouvements sociaux méditerranéens.
Nous avons immédiatement commencé à prendre contact dans la situation extrêmement complexe que les mouvements tunisiens sont en train de vivre. Le fil barbelé qui court autour d’un pan de l’Avenue Bourguiba est le signe le plus évident de la tension sociale et politique qui a monté le long des dernières semaines. Ces tensions sont avant tout exaspérées par les scandales causés par une vidéo du Ministre de l’Intérieur qui dénonçait un prochain coup d’état militaire. A la suite de la publication de cette vidéo, le ministre a démissionné.
Cet après-midi, nous avons été les témoins de l’arrestation d’un jeune activiste du FLPT à quelques pas du Ministère de l’Intérieur. Un autre résultat de la tension qui monte, au-delà du couvre-feu qui a été imposé entre 21h et 5h et le ban sur toute manifestation dans la capitale, mesures prises entre jeudi et samedi derniers.
En réponse à cette répression croissante, des manifestations et des grèves ont été appelées pour les prochains jours. Comme l’a commenté une activiste « Cela a été une erreur d’avoir abandonnée le sit-in à la Kasbah […] mais maintenant nous nous reprendrons les rues pour pousser en avant la révolution ».
Depuis les campagnes et les villes tout autour de Tunis, des centaines de jeunes tunisiens continuent à remplir les rues de la capitale et des autres villes majeures pour pousser dans le sens d’une transformation radicale. Ces jeunes activistes sont maintenant devenus la cible de la répression gouvernementale en raison de leur rôle crucial dans le processus révolutionnaire, et le gouvernement transitoire se montre de plus en plus intéressé à restaurer le statu quo et à les réprimer plutôt que de mener une transformation politique réelle.
Les contacts d’aujourd’hui (qui seront approfondis les jours qui viennent) nous parlent cependant d’un processus ouvert et d’un devenir du changement politique conduit par la force des mouvements sociaux.
Knowledge Liberation Front
13 Mai 2011
JOUR 2
Au cours de notre deuxième journée ici à Tunis, le Tour de Libération sans Frontières / Knowledge Liberation Tour a été immergé dans la réalité chaotique mais stimulante de la Tunisie post-insurrectionnelle. Pendant que le gouvernement transitoire et les médias mainstream essayent de construire l'image d'une situation politique pacifiée - un rappel à l'ordre et à la normalisation - la réalité est celle qu'il y a, au contraire, plusieurs groupes qui poussent pour la continuation du processus révolutionnaire.
En fait, à 10h ce matin, nous avons pris part activement à un sit-in organisé par les Conseils pour la Protection de la Révolution qui s'est déroulé sur les marches du Théâtre Municipal, sur la désormais fameuse avenue Bourguiba. Après l'assemblée, des centaines de personnes qui chantaient des slogans appelant à la continuation de la révolution - les Comités contre le gouvernement de transition oppresseur - ont été brutalement chargés par des groupes de milices armées de matraques et de couteaux, secrètement organisés par le Ministère de l'Intérieur.
La répression est ici implémentée par l'usage massif d'escadrons de citoyens en civil, recrutés et armés, qui ont libre cours et le plein pouvoir des rues; c'est une stratégie de guerre à basse intensité semblable à celles qui ont été pratiquées en Amérique Latine et ailleurs. Le résultat en est une violence sociale incontrôlée qui vise à créer de la tension politique sans directement impliquer le gouvernement-même. Chaque jour, les arrestations et la chasse aux activistes continuent, surtout contre les jeunes qui viennent du pays et qui, après la fin de la Kasbah, ont continué de protester, Avenue Bourguiba.
Plusieurs personnes nous ont confirmé l’histoire infâme d’un activiste qui a été violé dans un commissariat.
A la suite de cette violence irraisonnable, les manifestants qui avaient couru de toutes parts se sont réassemblés devant le Ministère des Femmes et des Affaires Sociales et ont entamé un sit-in devant l’UGTT, le Syndicat des Travailleurs Tunisiens, appelant une grève générale pour renforcer l’effort révolutionnaire. Ces Comités révolutionnaires, ensemble avec des jeunes activistes, sont en train de travailler pour un changement réellement systémique, la où les pouvoirs économiques et politiques tentent de se substituer aux positions précédemment tenues par l’entourage de Ben Ali.
En même temps, dans la fin de matinée, a eu lieu une manifestation importante d’avocats et de magistrats devant le Ministère de la Justice, pour revendiquer un une justice indépendante, la liberté d’expression et la fin de la censure gouvernementale, tout comme pour demander la fin de la persécution politique. Malgré cela, il y a un black-out de l’information de presse mainstream, et surtout une réelle censure autour des protestations et des manifestations, à l’exception de celle des magistrats.
Après les événements de ce matin, notre délégation a procédé à recueillir des matériaux issus de plusieurs acteurs de la scène politique de la capitale. L’après-midi a été riche en rencontres, interviews et discussions sur la préparation d’un Meeting transnational prévu pour l’automne prochain ici à Tunis.
Demain, la délégation du Knowledge Liberation Front continuera son travail d’enquête et de recherche militante, pour approfondir notre compréhension de la situation complexe qui caractérise les mouvements sociaux Tunisiens. En collaboration avec les nombreux collectifs que nous avons déjà rencontrés ici, la transnationalisation matérielle des luttes euro-méditerranéennes est en marche…
Liberation Without Borders Tour
14 mai 2011
JOUR 3
Aujourd'hui, le Liberation without borders tour a continué ses activités d'investigation sociale et de recherche politique au sujet de la Tunisie post-insurrectionnelle. La délégation s'est organisée en de petits groupes pour suivre les multiples initiatives qui ont eu lieu simultanément ce matin.
Une des ces initiatives a été une délégation du groupe No Borders qui a visité un centre de solidarité auto-organisé qui recueille des biens de première nécessité pour les réfugiés lybiens.
Pendant qu'un petit comité armé de caméras est parti faire des interviews avec des figures prominentes des mouvements sociaux qui sont maintenant forcés d'adopter un "low profile" à cause de la répression politique, un autre groupe participait à un rassemblement organisé en solidarité avec le peuple Palestinien. Ceci a été l'occasion de connaître la richesse d'un mix de collectifs du Maghreb et du Moyen Orient qui ont travaillé de nombreux enjeux sociaux et politiques pendant les dernières décennies. Ici, en discutant dans ce vaste panorama de perspectives, nous avons pu recueillir différents points de vue sur les développements actuels sur une échelle transnationale.
Des échanges intéressants ont été observés parmi les partis et les groupes organisés plus traditionnels - comme le parti islamiste et les formations communistes orthodoxes. Les manifestants les plus jeunes ont eu relativement peu d'intérêt pour ces débats.
Ce que nous voyons, de manière assez générale, c'est la séparation et le désintérêt croissant de la part des jeunes pour les représentations politiques traditionnelles. D'uncôté, la plupart des partis politiques sont en train d'appeler pour la normalisation et l'ordre "post-révolutionnaire" de la société civile. De l'autre côté, comme le disent certains étudiants aux marges du rassemblement, la réorganisation politique de la Tunisie pour eux est une pure question technique et les gens qui étaient au coeur de l'effort pour abattre le gouvernement de Ben Ali sont prêts à faire de même encore si le gouvernement sera considéré insatisfaisant. L'écho du slogan de l'Argentine en 2001 "que se vayan todos!" peut être entendu dans leur optimisme pour la possibilité de continuer et de rendre permanente la mobilisation.
Une autre composante du Liberation Without Borders Tour a rencontré Haithem Ben Farhat, un professeur à l'université de Nabeul et documentariste qui est en train de filmer avec son groupe de recherche des entretiens avec des enfants autour du thème de la révolution tunisienne.
Au début de l'après-midi, une excursion vers une banlieue de la ville a été organisée pour recueillir des matériaux et des perspectives de la part des membres de la bourgeoisie de la société tunisienne, au sujet des changements qui ont traversé les derniers mois. En général, les marchands et les citoyens riches sont contents que Ben Ali soit parti mais cela, du point de vue commercial et économique surtout. Ils ont parlé de la police secrète et de l'oppression de type mafieux qui a été exercée sous le précédent régime. Ainsi, tandis que leur interprétation de la révolution est limitée à une perspective économique néolibérale, ils ont aussi supporté le plus récent changement de gouvernement.
Plus tard dans l'après-midi, un meeting organisationnel s'est tenu avec les activistes du groupe No Border, où ont été confrontés et élaborés la relation entre le sujet politique mobile responsable de l'animation des événements récents et les enjeux de la migration et de la solidarité internationale.
Demain est prévue une pluralité de rencontres avec une série de groupes, d'associations et d'organisations dans la matinée. Plus tard, un meeting organisationnel aura lieu avec plusieurs activistes vers la construction d'un meeting transnational cet automne. Stay tuned…
Knowledge Liberation Front, 15 mai 2011, Tunis
Une des ces initiatives a été une délégation du groupe No Borders qui a visité un centre de solidarité auto-organisé qui recueille des biens de première nécessité pour les réfugiés lybiens.
Pendant qu'un petit comité armé de caméras est parti faire des interviews avec des figures prominentes des mouvements sociaux qui sont maintenant forcés d'adopter un "low profile" à cause de la répression politique, un autre groupe participait à un rassemblement organisé en solidarité avec le peuple Palestinien. Ceci a été l'occasion de connaître la richesse d'un mix de collectifs du Maghreb et du Moyen Orient qui ont travaillé de nombreux enjeux sociaux et politiques pendant les dernières décennies. Ici, en discutant dans ce vaste panorama de perspectives, nous avons pu recueillir différents points de vue sur les développements actuels sur une échelle transnationale.
Des échanges intéressants ont été observés parmi les partis et les groupes organisés plus traditionnels - comme le parti islamiste et les formations communistes orthodoxes. Les manifestants les plus jeunes ont eu relativement peu d'intérêt pour ces débats.
Ce que nous voyons, de manière assez générale, c'est la séparation et le désintérêt croissant de la part des jeunes pour les représentations politiques traditionnelles. D'uncôté, la plupart des partis politiques sont en train d'appeler pour la normalisation et l'ordre "post-révolutionnaire" de la société civile. De l'autre côté, comme le disent certains étudiants aux marges du rassemblement, la réorganisation politique de la Tunisie pour eux est une pure question technique et les gens qui étaient au coeur de l'effort pour abattre le gouvernement de Ben Ali sont prêts à faire de même encore si le gouvernement sera considéré insatisfaisant. L'écho du slogan de l'Argentine en 2001 "que se vayan todos!" peut être entendu dans leur optimisme pour la possibilité de continuer et de rendre permanente la mobilisation.
Une autre composante du Liberation Without Borders Tour a rencontré Haithem Ben Farhat, un professeur à l'université de Nabeul et documentariste qui est en train de filmer avec son groupe de recherche des entretiens avec des enfants autour du thème de la révolution tunisienne.
Au début de l'après-midi, une excursion vers une banlieue de la ville a été organisée pour recueillir des matériaux et des perspectives de la part des membres de la bourgeoisie de la société tunisienne, au sujet des changements qui ont traversé les derniers mois. En général, les marchands et les citoyens riches sont contents que Ben Ali soit parti mais cela, du point de vue commercial et économique surtout. Ils ont parlé de la police secrète et de l'oppression de type mafieux qui a été exercée sous le précédent régime. Ainsi, tandis que leur interprétation de la révolution est limitée à une perspective économique néolibérale, ils ont aussi supporté le plus récent changement de gouvernement.
Plus tard dans l'après-midi, un meeting organisationnel s'est tenu avec les activistes du groupe No Border, où ont été confrontés et élaborés la relation entre le sujet politique mobile responsable de l'animation des événements récents et les enjeux de la migration et de la solidarité internationale.
Demain est prévue une pluralité de rencontres avec une série de groupes, d'associations et d'organisations dans la matinée. Plus tard, un meeting organisationnel aura lieu avec plusieurs activistes vers la construction d'un meeting transnational cet automne. Stay tuned…
Knowledge Liberation Front, 15 mai 2011, Tunis
JOUR 4
Le quatrième jour du Liberation Without Borders Tour a été très riche en terme d'interviews, rencontres et réunions. A partir du matin très tôt les différentes délégations du KLF ont rencontré des activistes de différents groupes et organisations : Raid-Attac, Le Manifeste, Amnesty International Tunisia, Front 14 Janvier e l'UGTT.
Les discussions intenses ont concerné les questions du développement du processus révolutionnaire, les conflits entre le mouvement et le gouvernement de transition et les élections pour l'assemblée constituante du 24 juillet. Ce qui émerge clairement c'est l'exhaustion des formes représentatives et la distance entre les partis politiques et le mouvement qui a chassé Ben Ali. Contrairement à l'image peinte par les médias occidentaux, loin d'être simplement une révolte pour le pain, la révolte tunusienne est une insurrection dans la crise économique globale; sa généalogue configure le processus de longue durée des luttes prolétaires (voilà en particulier la grève dans le détroit minéraire de 2008) et des conflits dans les régions du Sud. En outre, la composition sociale des étudiants, des jeunes hautement scolarisés et précaires ou chômeurs a des traits en commun avec le mouvement responsable des révoltes en Europe et ailleurs.
Un exemple de similitude est celui de la décision - de la part du gouvernement de transition - fortement contestée par la population, de continuer à respecter les engagements avec les institutions supranationales du capitalisme global, comme le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, en poursuivant le payement de la dette au lieu d'engager les ressources disponibles dans les services du welfare et de la formation. Tout ceci souligne le caractère transnational des luttes en Tunisie, en marquant en même temps une distance par rapport aux concepts classiques de solidarité. Comme l'a souligné de manière efficace un activiste, "pour aider la libération des palestiniens, par exemple, nous devons d'abord nous libérer tous seuls nous-mêmes."
Ce qui semble être en jeu dans ce laboratoire politique extraordinaire c'est la capacité du mouvement insurrectionnel de trouver de nouvelles formes d'organisation collective, en construisant un processus constituant et un nouveau rapport social.
Simultanément, une autre délégation se rendait dans une banlieue de Tunis pour rencontrer des jeunes qui ont été parmi les acteurs de la révolte. La réponse à la menace des sujets qui sont en train de maintenir en vie le processus révolutionnaire est la recrudescence des mécanismes de répression, de marginalisation et de normalisation : ici le couvrefeu est implémenté non seulement par les rafles militaires mais aussi par le biais de l'élimination de services de base comme le fournissement de l'énergie électrique. Est évidente la façon dont le pouvoir est terrorisé par ces sujets de la société tunisienne centraux dans le mouvement révolutionnaire.
Après ces discussions importantes, le KLF a rencontré les activistes du Front de Libération Populaire de la Tunisie, des blogeurs, étudiants, chômeurs, précaires et d'autres groupes encore afin d'organiser le meeting transnational qui aura lieu l'automne prochain à Tunis. Il y a beaucoup d'enthousiasme dans le défi de construire un authentique réseau euro-méditerranéen des luttes et de libération commune.
KLF à Tunis, 16 mai
Les discussions intenses ont concerné les questions du développement du processus révolutionnaire, les conflits entre le mouvement et le gouvernement de transition et les élections pour l'assemblée constituante du 24 juillet. Ce qui émerge clairement c'est l'exhaustion des formes représentatives et la distance entre les partis politiques et le mouvement qui a chassé Ben Ali. Contrairement à l'image peinte par les médias occidentaux, loin d'être simplement une révolte pour le pain, la révolte tunusienne est une insurrection dans la crise économique globale; sa généalogue configure le processus de longue durée des luttes prolétaires (voilà en particulier la grève dans le détroit minéraire de 2008) et des conflits dans les régions du Sud. En outre, la composition sociale des étudiants, des jeunes hautement scolarisés et précaires ou chômeurs a des traits en commun avec le mouvement responsable des révoltes en Europe et ailleurs.
Un exemple de similitude est celui de la décision - de la part du gouvernement de transition - fortement contestée par la population, de continuer à respecter les engagements avec les institutions supranationales du capitalisme global, comme le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, en poursuivant le payement de la dette au lieu d'engager les ressources disponibles dans les services du welfare et de la formation. Tout ceci souligne le caractère transnational des luttes en Tunisie, en marquant en même temps une distance par rapport aux concepts classiques de solidarité. Comme l'a souligné de manière efficace un activiste, "pour aider la libération des palestiniens, par exemple, nous devons d'abord nous libérer tous seuls nous-mêmes."
Ce qui semble être en jeu dans ce laboratoire politique extraordinaire c'est la capacité du mouvement insurrectionnel de trouver de nouvelles formes d'organisation collective, en construisant un processus constituant et un nouveau rapport social.
Simultanément, une autre délégation se rendait dans une banlieue de Tunis pour rencontrer des jeunes qui ont été parmi les acteurs de la révolte. La réponse à la menace des sujets qui sont en train de maintenir en vie le processus révolutionnaire est la recrudescence des mécanismes de répression, de marginalisation et de normalisation : ici le couvrefeu est implémenté non seulement par les rafles militaires mais aussi par le biais de l'élimination de services de base comme le fournissement de l'énergie électrique. Est évidente la façon dont le pouvoir est terrorisé par ces sujets de la société tunisienne centraux dans le mouvement révolutionnaire.
Après ces discussions importantes, le KLF a rencontré les activistes du Front de Libération Populaire de la Tunisie, des blogeurs, étudiants, chômeurs, précaires et d'autres groupes encore afin d'organiser le meeting transnational qui aura lieu l'automne prochain à Tunis. Il y a beaucoup d'enthousiasme dans le défi de construire un authentique réseau euro-méditerranéen des luttes et de libération commune.
KLF à Tunis, 16 mai
JOUR 5
http://liberationwithoutborderstour.blogspot.com/
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