27/04/2011

1789 a commencé en Tunisie


de GIGI ROGGERO, Knowledge Liberation Front


Une nouvelle Europe commence à partir de la révolution en Maghreb et en Afrique du Nord. Ainsi se concluait le meeting de Paris, en février dernier, pour mettre en marche le processus de constitution du réseau transnational Knowledge Liberation Front. C’est pourquoi nous irons en Tunisie, le 13 mai, avec une délégation du réseau NoBorder : pour apprendre. Pour apprendre, avant tout, ce que cela signifie de transformer une situation révolutionnaire en un processus révolutionnaire.
Il y a, en effet, une définition classique de la situation révolutionnaire que nous pourrions reformuler aujourd’hui en ces termes : les étudiants, les précaires, les migrants, les travailleurs appauvris par la crise capitaliste ne veulent plus vivre comme dans le passé; les patrons et les tyrans ne peuvent plus vivre comme dans le passé, car les multitudes globales qui sont en train de se soulever ne le leur permettent pas. Mais quand est-ce qu’une situation révolutionnaire devient un mouvement révolutionnaire ?
El Général l’explique bien, la voix de l’insurrection tunisienne. Mieux, si Chuck D des Public Enemy soutenait que le rap est la Cnn des afro-américains, nous pourrions aujourd’hui affirmer que El Général c’est le Al Jazeera des multitudes arabes. C’est ici – face à la composition métropolitaine et transnationale qui bonde le Cantiere de Milano [le centre social le plus grand de Milan, n.d.t.] où, à la veille du 25 avril a été lancé le « Knowledge Liberation Tour » – que le rapper tunisien explique que l’insurrection a commencé lorsque les personnes ont arrêté d’avoir peur. Et arrêter d’avoir peur, cela signifie de commencer à faire peur. Le rap est donc le code de cette explosion de liberté et de créativité collective qui accompagne l’insurrection des travailleurs cognitifs.
Aller en Tunisie, cela veut dire donc de rentrer dans un laboratoire extraordinairement complexe ; contradictoire, bien sûr, et certainement à l’avant-garde, qu’il faut étudier et avec lequel il faut se mettre en relation sans aucune mythologie esthétisante ou arrogance néo-colonialiste. Un laboratoire dans lequel le réseau est concrètement devenu pratique, outil et forme organisationnelle des luttes et - au moins de manière embryonnaire - d’une nouvelle société. Un laboratoire dans lequel le prolétariat cognitif – jeune, hautement scolarisé et précaire ou sans emploi, dont la puissance productive avance en même temps que son appauvrissement, dont la mobilité est bloquée par les accords entre les tyrans européens et leurs collègues d’Afrique du Nord enfin en opposition – est devenu mouvement insurrectionnel.
Un laboratoire, donc, qui a ramené à l’ordre du jour le thème de la révolution. Ils étaient trop nombreux à penser, avec triomphe, d’avoir relayé ce laboratoire parmi les vieilleries des musées, ou dans les non-lieux tranquillisants de l’utopie ; jusque parfois dans plusieurs contextes de mouvement il avait été mis au ban, traité – ainsi que le terme « communisme » - comme une provocation de nostalgiques. Et c’est maintenant que de l’autre côté de l’Atlantique insurrection et révolution rompent au cœur du capitalisme cognitif et de sa crise permanente, non pas comme une épave du passé, mais comme pratiques et processus à repenser ici et maintenant, définitivement déliés de l’Etat-nation, immanents à la composition de classe multitudinaire et à sa puissance constituante. 
 « Je m’appelle El Général car dès l’enfance je pensais à la révolution ». Voici pourquoi il hait cette guerre, la guerre « humanitaire » que l’on fait contre le processus révolutionnaire. Un laboratoire, last but not least, dans lequel on peut mesurer les rapports de force et le poids de la victoire. 
Il faut cependant faire attention à ce que nous disent camarades et activistes tunisiens : chasser Ben Ali a seulement été le premier pas d’un processus, pas du tout son accomplissement. La lutte contre ceux qui cherchent de bloquer le processus révolutionnaire a été très dure, et laisse ainsi l’insurrection orpheline de la révolution. Car chasser un tyran, ce n’est pas vaincre la tyrannie et le système qui la produit. Voici le nœud que les luttes opposent, et c’est à cette hauteur – pas dans la pure et simple solidarité, parfois ambiguë quand elle se réalise avec des sujets qui en Tunisie se trouvent de l’autre côté des barricades – que nous avons besoin d’unir les deux rives de la Méditerranée.
Nous aurions besoin d’une « caravane » bien sûr, mais en direction de l’Europe, pour accompagner les pratiques de liberté inscrites dans les corps des migrants et dans les paroles de l’insurrection arabe qui est en train d’investir en ce moment aussi le Maroc et la Syrie. Ne pas vouloir le comprendre signifierait de faire confusion, et il y a déjà trop de touristes en Tunisie. Le 13 mai à Tunis, nous essayerons au contraire de comprendre, comprendre avant tout comment nous organiser ensemble pour mettre en commun nos luttes et établir un programme transnational. Car de cette manière seulement nous pourrons remplir cette mer, non pas d’intentions humanitaires ou de miséricorde, mais d’une liberté et d’une égalité communes. Notre 1789, cette fois-ci, a commencé en Tunisie. 


Source : Edu-Factory
Trad. : Francesca Martinez

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